Vous avez été plusieurs à m’interroger sur ce que j’entends par “acupuncture traditionnelle ancienne et véritable”. Y aurait-il une acupuncture traditionnelle qui ne serait pas “ancienne et véritable” ?
Je fais ici référence à l’acupuncture qui nous fut transmise par Georges Soulié de Morant, puis par Jacques Lavier, Chamfrault et quelques autres.
Ces auteurs faisaient d’une part référence à des textes anciens (certes peu étaient disponibles), et d’autre part à une pratique qu’ils avaient interprétée à partir de leurs observations.
La référence à la Tradition était celle des concepts qui fondent la tradition, et non pas la pratique déjà dévoyée par l’abandon des données de la tradition par la Dynastie des Mandchous.
Deux grands noms, nourris à la mamelle de la tradition, ont cependant côtoyé le modèle 1958, et en ont même intégré quelques données. L’un s’appelait Charles Laville-Méry, qui avait d’abord étudié auprès d’un médecin chinois, en Chine, avant l’arrivée des communistes. On ne cite pas assez son ouvrage (en trois tomes) publié avec Duron et Borsarello en 1976 chez Maisonneuve. C’est lui qui le premier a utilisé l’expression médecine traditionnelle chinoise, car avant on disait simplement médecine chinoise. Il a donc été le premier vouloir distinguer deux approches, mais il n’a pas protégé son label. L’autre était André Faubert. Il avait fait une synthèse entre la lecture des livres de Soulié de Morant, l’enseignement de Lavier, ses échanges avec Laville-Méry, les cours suivis chez Jack Worsley (il avait sa licence du collège de Kenilworth de même que Laville Méry) et surtout l’enseignement suivi en stage à Hong Kong chez Leung Kok Yuen, et à Taipeï chez Huiweiping.
Alors c’est quoi le modèle 1958 ?
En 1958, donc quelques années après la proclamation de la République Populaire de Chine, les autorités médicales de ce pays ont établi de fait un modèle basé sur l’utilisation de la médecine nationale (acupuncture et pharmacopée) avec cependant une lecture plus rationnelle des textes de référence. On échappe pas à l’idéologie communiste quand elle est dominante. Se voulant essentiellement matérialistes et scientifiques, les autorités médicales trouvèrent normal de faire coller au mieux les données traditionnelles avec l’approche de la médecine conventionnelle occidentale.
Cela a donné un modèle original et une pratique basée sur les résultats statistiques du traitement des symptômes, syndromes et maladies. Par rapport à la Tradition, ce modèle est quelque peu rabougri, le Ciel n’y a guère sa place. Mais il évolue et tendrait même à ce que l’on me dit, à réintégrer la doctrine des cinq éléments. Quand on sait ce qui en était dit il y a quelques petites dizaines d’années … Mais tout est possible en Chine. N’a-t-on pas vu même revenir l’économie de marché ?
Certes le professeur Ma Kawen de l’académie de médecine traditionnelle de Pékin, écrivait en 1988 : “Même le “yi gu wen”, nouvellement révisé qui sert de manuel aux étudiants dans les collèges modernes de médecine chinoise traditionnelle, est rempli d’erreurs de sens et de traduction”. Mais dans ce domaine aussi, de nombreux efforts ont été accomplis pour corriger cet état de fait.
C’est tout cela le modèle 1958. Il est intéressant. C’est la Chine moderne. C’est pas si différent de ce qui se pratiquait depuis longtemps. Mais ce n’est pas la tradition telle que nous l’entendons.
Et aujourd’hui, lorsque l’on regarde de près les programmes des cours dispensés dans les écoles de médecine traditionnelle chinoise en France, c’est très souvent le modèle 1958 qui est inscrit, et lui seul.
Heureusement les excellentes traductions et les séminaires de l’Ecole Européenne d’Acupuncture, viennent insuffler des données que chacun peut reprendre pour redonner force et vigueur à l’esprit de la tradition.
Heureusement, tout le monde ne cède pas à la sirène du modernisme en acupuncture. Le docteur Jean Marc Kespi dans son ouvrage l’homme et ses symboles (Albin Michel 2002) l’affirme nettement en écrivant :” l’expression médecine traditionnelle chinoise (MTC dans le cours du texte) évoque pour moi les données traditionnelles qui fondent les médecines chinoises et non ” le modèle standard promu par la Chine Populaire depuis 1958 “.
Mon ami et confrère Pascal Da Silva d’Edinbourg (Ecosse), m’expliquait qu’au Royaume Uni, l’expression médecine traditionnelle chinoise s’appliquait au modèle 1958, et “les cinq éléments” au modèle de la Tradition. Normal, ils roulent à gauche 🙂